Avec les mégots, les bouts de papier, toutes les saletés
que je ramasse jour après jour,
quand j’imagine que mes collègues
en ramassent autant que moi, chaque jour,
je me dis que les rues et les ponts de cette ville
sont parsemés d’assez de rebuts pour remplir une décharge.
Parmi la multitude de restants
qui ne pourraient plus servir à rien ni à personne,
apparaît parfois un objet délaissé
que je range dans la poche de mon bleu de travail.
Depuis dix ans que je les collectionne
ces objets ont petit à petit rempli une étagère
que j’ai caché dans le grenier de ma maison.
Personne n’est au courant de cette collection.
Ma femme ne l’était pas, qu’Allah veille sur elle.
Mes enfants ne le sont pas, que la Vie leur soit clémente.
Je ne leur montrerai jamais mon Recueil de Rebuts.
Il ne sert qu’à me rappeler les paroles de Djalâl Al-Dîn Rûmi.
Tant de créature de cet univers
m’ont enseigné l’humilité.
Chaque objet oublié
me console de mon destin.
J’ignorais que je trouverais une humble noblesse
à balayer les caniveaux en salopette bleue.
Le première fois que je l’ai endossée
j’étais soulagé d’avoir enfin décroché un petit boulot
dans cette société qui ne m’attendait pas.
Les premières semaines, j’ai souvent été profondément humilié
du regard que les passants me niaient.
Comme si je n’existais pas.
Comme si j’étais un instrument.
Comme si je n’étais plus un être humain.
Parce que je n’était plus en blanc.
Combien de fois ont résonné en moi
les mots de mes patients, qui me manquaient :
« Merci, docteur ! »
La gratitude dans leurs yeux
pour la guérison que je leur avais offerte.
Sous la bienveillante égide du Plus Savant.
Combien de fois le silence
l’absence de regards croisés
dans mon nouvel habit de balayeur
ne m’a-t-il pas donné envie de hurler.
Sous la bienveillante égide du Plus Miséricordieux.
Je me sentais humble, dans mon pays,
exerçant mon métier.
Je le suis devenu sur cette terre d’adoption
aride comme un désert
vide de chaleur et de tendresse.
Les rebuts m’ont enseigné ce que j’ignorais.
Ils m’ont aidé à découvrir qu’en bleu de travail
je pouvais croiser le regard d’une femme
qui n’était pas mon épouse, qu’Allah veille sur elle.
Voir dans ses yeux un éclair d’humanité
et le lui rendre en toute noble humilité.
Ce portrait fait partie du livre en devenir Engrenages.
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