Et hop, encore un, enfermé dans sa carapace
la musique à tue-tête, sûrement.
J’ai horreur de cette nouvelle habitude des jeunes.
Mes gamins font la même chose :
casque sur la tête, j’entends rien,
j’ai pas envie de t’écouter, m’man.
Et voilà, j’me trouve plantée
en face de ces têtes de mules carapacées.
Ce silence fait un vacarme inaudible
là dans mon ventre. Ça bouillonne.
Je m’énerve, j’retourne mille fois
les phrases au fond de moi.
« Range tes godasses, merde !
Laisse pas traîner tes fringues, putain !
Mais d’où y sort ce gosse, à foutre le bordel
dans tout l’appart dès que j’ai le dos tourné ? »
Ils m’entendent pas, m’écoutent pas.
J’dis rien. Je range.
Ce que j’peux en avoir marre, parfois.
Tout comme j’en ai plein le cul de ce boulot
où j’me traîne chaque jour, aujourd’hui encore.
Pas un mot aimable, pas une parole de remerciements.
Des engueulades, des discussions, ou le silence.
Là aussi.
Pour couronner le tout, il fait un temps de cochon,
évidemment.
Le froid, la pluie…
J’enfonce mes mains dans les poches de mon manteau.
Usé, parce que les gosses me coûtent la peau des fesses.
Pas de quoi me nipper convenablement.
C’est la galère quoi. Rien à faire.
Tiens, c’est quoi là au fond de ma poche ?
Je sors un bout de papier, des lettres gribouillées :
Juliette Leconte – avec un numéro de portable.
Mais oui, c’est la dernière trouvaille de ma copine Alice :
va voir une psy, ça ira mieux !
Je fais une boule du bout de papier et l’envoie
par-dessus le garde-corps du pont.
Tu parles, une psy, c’est pas gratos que j’sache.
Elle va déconnecter leurs casques, aux gamins ?
Ranger l’appart tous les jours ?
Pourquoi pas, tant qu’on y est, beurrer leurs tartines ?
Tu parles !
Papoter pendant une heure, voire une heure et demie,
dans un fauteuil plus cher que tous mes meubles ensemble,
ressasser les vieilleries de papa, maman et tout le tintouin,
sortir de là plus pauvre de cent euros et
rentrer à mon appart, où ni le bordel
ni les gamins n’auront changé d’un poil ?
J’vois pas l’intérêt, non.
Alice, oui, elle s’y retrouve.
Célibataire, elle n’a que son chat qui peut l’emmerder.
Faut bien qu’elle passe son temps libre à quelque chose,
pourquoi pas l’auto-analyse.
Elle prétend que je râle trop, que ça ne m’avance pas.
Moi, râler ? Ben non, je n’vois pas. C’est la vie, c’est tout.
C’est quand déjà que ce foutu feu va passer au vert,
que je puisse enfin traverser ce carrefour de dingues,
me traîner jusqu’au supermarché de merde pour
me crever au boulot ?
Ce portrait fait partie du livre en devenir Engrenages.
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